Archives mensuelles : février 2013

Carte blanche: Quand le droit à l’intégration sociale met à mal la vie des amoureux et la solidarité.

Carte blanche parue dans le Soir du 14/02/2013.

En ce jour de St Valentin, les restos prévoient des menus spéciaux, les fleuristes des bouquets de circonstances et les journaux déclinent l’amour sur tous les tons.

Avec ou sans bougies, en pestant contre la publicité ou pas, les amoureux y trouveront prétexte pour une soirée de fête. Mais tous les amoureux ne seront pas à la fête, certains ne peuvent en effet pas s’offrir le luxe de vivre ensemble. Parce que vivre ensemble peut se traduire par la perte complète d’autonomie pour celui/celle qui n’a pas de salaire et est aidé par un CPAS, ou par la réduction des ressources de l’un et l’autre, s’ils sont tous deux aidés par le CPAS ou le chômage.

Valentine vit seule, elle a perdu son travail à temps partiel, elle ne compte pas suffisamment d’ancienneté pour bénéficier d’allocations de chômage. Heureusement, le CPAS va intervenir avec une aide financière (801 €), il va aussi la soutenir dans une recherche d’emploi,  l’orienter le cas échéant vers une formation, etc.

Valentine rencontre Valentin.

Valentin travaille, il gagne 1300 € par mois. Ils rêvent de s’installer ensemble, calculent aussi qu’économiser un loyer leur permettrait de vivre moins dans l’angoisse du lendemain.

Valentine emménage chez son Valentin. Tout va bien sauf que lorsque Valentine informe son CPAS de sa nouvelle situation, elle découvre avec stupeur que vivant en couple avec Valentin, elle perd tout droit à l’intégration sociale parce que les revenus de son amoureux sont supérieurs au taux chef de famille (1068 €). Plus un euro pour elle qui dépend dorénavant entièrement de Valentin. Plus d’accompagnement à l’emploi non plus. L’amour peut-il résister longtemps à la dépendance ? Personne ne sera étonné que les femmes soient les premières piégées par ce genre de situation.

Si Valentine ne tombe pas amoureuse, mais a des amis qui lui proposent une colocation parce qu’avec la seule aide du CPAS, elle ne parvient plus à payer son loyer, elle verra son  revenu d’intégration passer du taux isolé au taux cohabitant (534 €) et découvrira que l’économie qu’elle imaginait faire grâce à la solidarité de ses amis est neutralisée.

Si c’est une mère ou un père qui lui propose de l’héberger, les ressources de ces derniers pourront être prises en compte pour le calcul de son taux cohabitant.

Le Service de lutte contre la pauvreté n’a de cesse dans chacun de ses rapports de rappeler « que cette non-individualisation du droit engendre des effets pervers, et tend à rompre les solidarités familiales ou amicales. Ce qui peut pousser l’individu à développer des stratégies qui relèvent plus de la survie que du délit : travail au noir, domiciliation dans un immeuble ‘à boîtes aux lettres’. […]»

La non-individualisation des droits a un coût social et collectif énorme, poussant des familles à se déstructurer, empêchant des couples ou les familles d’organiser des solidarités, pénalisant la colocation, l’habitat solidaire, jetant la suspicion sur les allocataires sociaux ou contribuant à la rareté des logements disponibles.

Dans ce contexte, avec le soutien de nombreuses associations impliquées dans la lutte contre la pauvreté et de mouvements de femmes, Ecolo et Groen, via les députés Zoé Genot et Wouter De Vriendt, ont formulé une proposition de loi en 2007 qui vise à porter au-dessus du seuil de pauvreté le niveau minimal des allocations de remplacement et à aligner progressivement le montant du revenu des allocations des cohabitants sur celui des isolés.

Une proposition qui n’a trouvé jusqu’ici aucune majorité suffisamment courageuse pour aller au-delà des slogans électoraux. En attendant Valentin et Valentine fêteront ce 14 février chacun chez eux…

Signataires: Magali Plovie, députée bruxelloise. Dominique Decoux, présidente du CPAS de Schaerbeek.  Zoé Genot, députée fédérale. Anne Herscovici, députée bruxelloise, conseillère CPAS. Stéphane Roberti, président du CPAS de Forest.

Interpellation sur la précarité du financement du SMES-B et la mise en péril de sa cellule d’appui médico-psychologique d’intersection entre la santé mentale et l’exclusion sociale.

à  Madame Brigitte Grouwels, membre du Collège réuni, compétente pour la Politique d’Aide aux Personnes et la Fonction publique, et à Madame Evelyne Huytebroeck, membre du Collège réuni, compétente pour la Politique d’Aide aux Personnes, les Finances, le Budget et les Relations extérieures,

Le SMES-B créé en 1999, reconnu comme réseau Santé depuis 2006 fédère des intervenants du social et de la santé, construit des ponts et des réponses intersectorielles, pour tenter de répondre aux besoins particuliers d’une population fort précarisée et en grande souffrance psychique, une population particulièrement vulnérable, souvent exclue de ses droits, sans abri ou sans domicile fixe.

Sa cellule d’appui médico-socio-psychologique, opérationnelle depuis 2002 est bien connue du secteur psycho-social à Bruxelles. Les professionnels de ce secteur font en effet régulièrement appel à son équipe pluridisciplinaire quand ils sont confrontés à des impasses dans l’accompagnement de personnes qui, très souvent, ne demandent pas ou refusent l’aide et les soins. Le comité d’avis pour l’égalité des chances entre hommes et femmes a eu l’occasion d’entendre il y a quelques mois (23/04/2012) une présentation de ce travail mené aussi bien en soutien aux travailleurs sociaux des logements sociaux que des maisons d’accueil, des travailleurs de rue, du Samu social ou de Médecins du monde. Il ne s’agit pas seulement pour la cellule d’appui de se déplacer pour aller à la rencontre des patients, avec les professionnels impliqués, mais aussi de former à des pratiques à l’intersection du social et de la santé mentale, toutes les structures qui travaillent avec ces publics pour permettre une meilleurs prise en charge de personnes dont les troubles sont mal connus et qui suscitent souvent la peur et donc l’exclusion.

Outre sa mission de base, la cellule participe à quatre projets spécifiques : chacun  de ses projets montre sa réelle implication dans des pratiques novatrices et intersectorielles.  Ainsi, le projet Outreach vise à la rencontre de la personne précarisée socialement et mentalement, dans le restaurant social de l’asbl Source, le projet SMES-SASLS vise à l’intervention en amont et en prévention, au sein des logements sociaux ; le projet RAPS a permis la conduite d’une recherche-action sur l’accompagnement psycho-social en réseau, entre professionnels du social et de la santé issus de diverses institutions. Avec le projet Housing First Brussels, intégré dans le projet Housing First Belgium qui vise l’accès direct au logement pour les personnes vivant à la rue, la cellule  met en place une alternative au modèle classique d’intervention auprès des personnes sans abri.

Il n’est donc pas étonnant que la Concertation bruxelloise d’aide aux sans-abri ait apporté un appui unanime au SMES-B.

Le travail de la cellule d’appui est aussi régulièrement salué par les responsables politiques et donné en exemple de bonnes pratiques, de pratiques innovantes. C’est ainsi par exemple que le SMES-B a été lauréat du Prix Fédéral de Lutte contre la Pauvreté en 2010.

A l’échelle de la Région bruxelloise, la cellule d’appui est  soutenue financièrement à la fois par la Cocof et la Cocom, la santé et l’aide aux personnes. Ces sources multiples de financement rendent compte du travail réalisé par le SMES à l’intersection de plusieurs secteurs. Mais ce qui fait la pertinence et la force de cette position à l’intersection du social et de la santé mentale, mais aussi du logement, de l’accès aux droits, …, (en termes de qualité et d’utilité du travail)  fait sa faiblesse en termes de stabilité et de continuité. La cellule vit, comme ses travailleurs, une situation précaire,  rien ne leur est garanti au-delà des échéances annuelles. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour des projets qui visent à assurer  la continuité des soins et  l’accompagnement. En cette période hivernale où classiquement tout le monde s’émeut face aux personnes sans abri et où des budgets très importants sont dégagés pour faire face à l’urgence, il serait particulièrement choquant qu’un service qui travaille dans la durée, notamment avec des personnes sans abri pour lesquelles la prévalence des psychoses est estimée à 30%,  disparaisse.

Tombant hors des décrets et des ordonnances qui déterminent les missions et organisent l’action des dispositifs soit de santé soit d’aide sociale, la cellule est financée en initiatives, avec ce que cela comporte d’imprévisible. Depuis plusieurs années déjà, le SMES-B attire notre attention sur la fragilité de son financement. En ce début 2013, il tire – avec ses partenaires du réseau – ; la sonnette d’alarme : sans appui financier, la survie de la cellule d’appui est en jeu. Et cela, à très court terme. Je ne doute pas que vous avez également été alertées par cette situation. Pouvez-vous nous indiquer si vous avez pu organiser des concertations avec vos collègues du Collège réuni en charge de la Santé ainsi qu’avec vos collègues de la Cocof et de la Région qui sont aussi concernés et  si vous avez pu dégager des pistes de solutions à court terme, mais aussi de manière plus structurelle, pour le long terme ?