Colloque SPPIS 25 mars 2014.

Photo campagne 2014

A l’occasion de la présentation de l’annuaire 2014 sur la pauvreté en Belgique, j’ai été invitée à participer au panel qui concluait le colloque organisé par le SPP intégration sociale. Il m’y était demandé de réagir à la question de la « pertinence des mesures d’activation proposées par les CPAS ».
Voici le texte de mon intervention.

En guise de préambule, deux remarques.
1. Les usagers des CPAS n’ont pas attendu l’Etat social actif pour s’activer. Comment survivre avec un revenu sous le seuil de pauvreté sans s’activer? L’économie du quotidien, pour survivre, relève d’un véritable travail. En particulier pour les femmes seules avec leurs enfants.C’est pour cela que je n’aime pas le terme activation. Le mot est lourd, révélateur du regard porté sur les usagers, un regard qui part du présupposé que les usagers sont inactifs, paresseux, pour tout dire, coupables. Et les travailleurs des CPAS sont d’ailleurs, dans le même élan, soupçonnés d’être passifs, de ne pas en faire assez.
2. Les usagers du CPAS doivent aussi beaucoup s’activer pour ouvrir leur droit au RIS ou à l’aide sociale: la liste est longue des documents qu’ils doivent rassembler: contrat de bail, ressources propres mais aussi de l’éventuel cohabitant, des ascendants et descendants au 1er degré, extraits de compte, fiches de paie, attestations de prêts éventuels, etc. Le travail est lourd aussi pour les travailleurs sociaux qui doivent mener l’enquête sociale en multipliant les vérifications et contrôles.
Contrairement à ce que certains pensent encore, l’aide sociale des CPAS n’est pas inconditionnelle, loin de là. Elle implique l’activation des personnes demandant à être aidées. L’activation socioprofessionnelle est par ailleurs devenue une mission centrale des CPAS.
J’en viens donc à votre question.
Dans quelle mesure l’activation proposée par les CPAS vous semble-t-elle pertinente?
Elle est « pertinente » quand elle est pensée comme un chemin vers l’émancipation et l’autonomie avec ce que cela implique de respect, de temps, et de lucidité, lucidité sur les conditions de vie des personnes et sur les réalités économiques. Pour le dire autrement, l’activation est pertinente quand elle responsabilise tout en protégeant et en sécurisant, quand elle offre un accompagnement qui structure sans écraser.
Vous aurez compris que mon expérience m’amène à plaider vigoureusement contre le workfare.
L’activation est donc pertinente quand
• elle tient compte de la réalité de la vie concrète des usagers: conditions de logement, état de santé, charges de famille, réseau d’entraide ou pas, connaissances initiales.
• elle respecte le rythme des personnes et commence par le commencement: aider les moins solides à reprendre pied, à mettre les papiers en ordre, à se soigner, à trouver un logement, une crèche, proposer la participation à des activités culturelles, à la vie sociale, plus généralement aider à retrouver confiance en ses capacités, renforcer ces capacités.
Je pense aux femmes seules avec enfants hébergées en maison d’accueil qui se voient imposer une activation aveugle quand elles ont besoin de toutes leurs forces pour se reconstruire.
Je pense à ces jeunes déscolarisés, perdus, incapables de décider d’un « projet », de se « soumettre » à des obligations administratives, ni même de suivre une formation mais qui reprennent goût à la vie à travers des activités organisées par le secteur de l’aide à la jeunesse. Encore faudrait-il que cette activation là soit reconnue comme telle.
L’activation est pertinente quand
• les démarches demandées ont du sens, sont adaptées aux différents usagers, engagent aussi l’institution qui les imposent. Quand il n’y a pas d’emplois pour tous, devoir rassembler des « preuves d’activation » est un exercice où même les personnes solides s’épuisent et où les fragiles se brisent. Toutes les études le montrent: les chercheurs d’emploi sanctionnés sont les plus vulnérables et les plus défavorisés, les moins diplômés. C’est ce que nous constatons aussi dans les CPAS quand arrivent des demandes d’aide de personnes sanctionnées par l’ONEM.
L’activation est pertinente quand
– elle ouvre des portes et vise à renforcer les capacités et les compétences, en tenant compte des aspirations des personnes. Beaucoup de jeunes décrochent des diplômes, y compris universitaires, grâce aux CPAS.
– elle ne fait pas l’impasse sur les discriminations à l’emploi qui restent importantes malgré notre législation. Discriminations selon l’origine ethnique mais aussi selon l’âge, l’apparence, le handicap, les quartiers d’habitation. Nous savons qu’à diplôme égal, les chances de trouver un emploi ne sont pas les mêmes selon les quartiers habités. Et à travers toutes ces catégories, discriminations à l’égard des femmes.
Les CPAS ont cette possibilité de mener une politique d’activation « pertinente ».
Ils peuvent mobiliser des raisons de santé et d’équité pour reporter des exigences, les ajuster, ils peuvent proposer la participation à des activités culturelles, sportives, etc. Encore faut-il que les CPAS en aient les moyens financiers et humains. On est loin du compte. Les travailleurs sociaux des CPAS n’ont pas assez de temps pour ce travail « sur mesure », ils ne sont pas assez formés, ils sont stressés, fatigués des contraintes administratives de plus en plus lourdes notamment dans le cadre de l’enquête sociale. Avec pour conséquences burn out et turn over qui aggravent encore la fatigue et le stress.

La mise au travail sous contrat art. 60 peut être pertinente si elle n’est pas conçue comme un tremplin vers les allocations de chômage, comme main d’oeuvre à bon marché, mais bien si elle vise l’acquisition d’une expérience professionnelle et permet formation qui maximisent les chances de décrocher un emploi durable et de qualité.
Et c’est possible: 33% des personnes qui achèvent un emploi relevant de l’art. 60 sont toujours au travail le trimestre suivant. De nombreux travailleurs des CPAS bruxellois, y exerçant tous les métiers, ont commencé leur carrière professionnelle sous contrat art. 60.
Je dirai pour conclure que l’activation est pertinente quand elle n’est pas aveugle au réel, celui des personnes mais aussi celui, central, du marché de l’emploi.

 

 

1 Dans l’ensemble des dossiers qui ont été soumis au comité spécial de mon cpas en décembre, le montant journalier dont disposent les usagers après paiement du loyer et de l’énergie est pour 60 % d’entre eux inférieur à 10 eu par jour . Cela veut dire aussi qu’il est de moins de 5 euros pour certains

http://www.mi-is.be/be-fr/etudes-publications-et-chiffres/colloque-lutte-contre-la-pauvrete-en-belgique-quels-choix

 

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