Le retour des dames patronnesses.

AnneCarte blanche mise en ligne sur le site du Soir le mercredi 15 janvier 2014.

« Pour faire une bonne dame patronnesse, il faut organiser ses largesses. »

Et aussi : « Il faut être bonne mais sans faiblesse ».
En voyant agir Maggie De Block et tout le gouvernement Di Rupo avec elle, je n’ai pu m’empêcher de songer à Jacques Brel et au portrait impitoyable qu’il avait dressé des dames patronnesses, ces dames de la haute qui avaient leurs pauvres à elles, avant que la sécurité sociale instaure un régime de solidarité et non de charité.
Refrain :
« Et un point à l`envers et un point à l`endroit. Un point pour saint Joseph un point pour saint Thomas ».
Les dames patronnesses d’aujourd’hui s’emploient à détricoter la sécurité sociale pour, ensuite, s’inquiéter de la montée de la pauvreté et prêcher la charité. Cynisme et hypocrisie !
Cynisme hypocrite
Deux exemples récents. Le 2 décembre dernier, la secrétaire d’Etat à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté a lancé un appel au bénévolat des médecins pour qu’ils soient plus nombreux à soigner les sans-abris à titre gracieux.
Je trouve très bien que des médecins consacrent une partie de leur temps à soigner les laissés pour compte de notre société. Mais ce qui me choque, c’est qu’un tel appel émane de Mme De Block, qui compte sur le dévouement désintéressé des médecins parce que le gouvernement Di Rupo dont elle fait partie a pris une série de mesures qui privent toujours plus de personnes d’un accès à des soins de santé normaux. Ainsi par exemple depuis février 2012, les Européens indigents -adultes comme enfants- n’ont plus droit à aucune aide sociale, en ce compris l’aide médicale urgente pendant les premiers mois de leur séjour sur le territoire belge.
Le bénévolat peut bien être appelé à la rescousse. Il n’évite pas les grossesses non suivies et les accouchements prématurés.
Deuxième exemple : Mme De Block a affecté un budget de 2 millions d’euros pour soutenir des projets « Les enfants d’abord ». Objectif: créer des plateformes de concertation locales destinées à la prévention et à la détection de la pauvreté infantile. Face à des situations « problématiques », il s’agirait alors d’intervenir « discrètement mais rapidement pour éviter toute aggravation de la situation ».
Que croit-elle donc ? Nous n’avons pas besoin de ce nouveau truc pour détecter la pauvreté des enfants. Les assistants sociaux des CPAS la constatent tous les jours à travers leurs visites à domicile, préalables à toute décision d’aide. Et leurs rapports sociaux la dévoilent. Dans l’ensemble des dossiers qui sont soumis au prochain comité spécial de mon cpas, le montant journalier dont disposent les usagers après paiement du loyer et de l’énergie est pour 60 % d’entre eux inférieur à 10 eu par jour. C’est la pauvreté des parents qui fait celle des enfants.
Les enseignants dénoncent régulièrement les conditions de vie et de logement qui mettent à mal la scolarité de leurs élèves.
Le problème n’est donc pas de détecter la pauvreté des enfants mais de donner à leurs familles les moyens de vivre dignement. C’est une tâche de plus en plus impossible pour les CPAS étant donné les charges nouvelles que la politique du gouvernement fédéral a transférées sur leur dos : sanctions contre les adultes au chômage qui sont aussi parents, allongement du stage d’insertion les jeunes à la recherche d’un premier emploi. Cela sans compter la dégressivité renforcée des allocations de chômage et les exclusions des allocations d’insertion qui vont déclencher, le 1er janvier 2015, un raz-de-marée de nouvelles demandes aux CPAS.
Sépulcres blanchis
Les femmes seules avec enfants sont les premières victimes de la politique aveugle d’activation des chômeurs menée par le fédéral. Les suspensions ou les exclusions du droit aux allocations de chômage frappent ces femmes sans tenir compte de leurs conditions de vie concrètes, de leurs charges familiales, qui les empêchent souvent de répondre aux exigences de l’ONEM.
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés » (Evangile selon Mathieu). Tels sont les membres du gouvernement Di Rupo : d’un côté ils détricotent les mécanismes de protection sociale, ils organisent la précarisation, et de l’autre ils simulent la compassion toute en faisant leur publicité personnelle.
La charité ne résoudra pas le problème de la pauvreté. Il faut d’abord s’attaquer aux mécanismes qui enfoncent et maintiennent dans une pauvreté scandaleuse : un salaire minimum trop bas qui alimente des bataillons de travailleurs pauvres, des allocations sociales insuffisantes, le statut de cohabitant qui pénalise l’entraide entre individus et fait éclater les familles, les loyers qui flambent et mangent la plus grande partie des revenus… Tant qu’un gouvernement ne corrigera pas ces mécanismes, nous n’aurons que faire de l’étalage de leurs beaux sentiments.

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